Chiens de détection numérique : une niche prometteuse

esd k9

Partie d’une photo représentant un chien ESD K-9 du NCIS en entraînement de recherche d’un dispositif numérique caché sous une voiture © Mass Communication Specialist 2nd Class Olivia Banmally Nichols, US Navy, mai 2025 (telle que publiée dans : https://www.ncis.navy.mil/Media/News/Article/4272479/ncis-adds-three-new-noses-to-the-esd-k9-program/)

Aujourd’hui le numérique est partout, et de façon exponentielle, ce qui pose de nouveaux types de risques sécuritaires au sein de nos sociétés. On pense bien-sûr au risque de cyberattaques, mais il en est un autre dont on parle moins : celui de retrouver physiquement des supports numériques constituant en eux-mêmes un danger ou une preuve dans une enquête judiciaire.

L’explosion des supports de stockage numérique, combinée à une miniaturisation en facilitant une dissimulation de plus en plus sophistiquée, rend le travail des forces de sécurité et, dans certains cas, des forces armées, particulièrement complexe, qu’il s’agisse d’affaires judiciaires, de protection d’infrastructures critiques ou sensibles, de contre-espionnage, ou encore de lutte anti-terroriste.

A l’heure de la guerre hybride et et d’une criminalité désormais quasi systématiquement « cyber-augmentée » (1) et où la plupart des preuves passent par un téléphone, une clé USB ou une carte mémoire de quelques millimètres, les services d’enquête se heurtent ainsi à une difficulté très prosaïque : comment trouver ce qui est délibérément conçu pour être invisible ?

 

Née aux États-Unis en 2013 (2), une solution se développe progressivement sur le terrain à savoir le dressage et recours à des chiens de détection de supports électroniques : connus Outre-Atlantique sous l’acronyme ESD K-9 pour « Electronic Storage Detection K-9 » (K-9 est l’abréviation phonétique de canin en anglais), chiens TDD (pour « Technological Detection Dogs ») en Australie, « Digital Storage Device Dogs » aux Pays-Bas, chiens ICT pour « Information & Communications technology ») en Belgique, ou encore « e-dogs » ou chiens cyber en France (3), ils sont capables de flairer les composants chimiques présents dans la plupart des moyens de stockage numérique.

Depuis le début des années 2020, l’emploi de ces chiens « numériques » commence à se développer non seulement géographiquement parlant, mais aussi en ce qui concerne les champs d’application possibles.

 

Relever le défi de la détection matérielle à l’ère du numérique : des méthodologies complémentaires à l’international

 

Encore relativement marginale, cette pratique se retrouve aux Etats-Unis où l’on compte plus de cent-dix établissements policiers équipés à l’heure actuelle (4) et cent-trente chiens ESD, tandis qu’un nombre croissant de pays l’adopte depuis quelques années.

En Australie, Le gouvernement australien a annoncé en mai 2021 un financement de 5,7 millions de dollars pour développer le programme de chiens de détection technologique (TDD) de la police fédérale australienne (AFP), permettant la formation et le déploiement de huit chiens supplémentaires sur trois ans. L’AFP a ainsi été pionnière dans la capacité TDD en Australie, avec 13 chiens de détection technologique déployés dans tout le pays. Entre janvier 2021 et novembre 2022, les TDD de l’AFP ont effectué 160 recherches ayant permis de localiser avec succès 691 dispositifs de stockage électronique (5).

Au Canada, la police régionale de Peel dans l’Ontario a accueilli Harley, le premier chien de détection de supports électroniques (ESD), au sein de son unité d’exploitation des enfants sur Internet (ICE) en 2021. Puis en 2023, le Service correctionnel du Canada a mis en œuvre un programme pilote de chiens détecteurs de dispositifs électroniques : certains retours d’expérience disponibles font état de plus de 348 téléphones portables et plusieurs centaines d’autres dispositifs de stockage trouvés de cette manière en l’espace d’une quinzaine de mois (6).

En Europe, les Pays-Bas, la Belgique, la Suisse et la France font partie des pays précurseurs et, si les approches diffèrent sensiblement selon les pays, les retours d’expérience se rejoignent et s’avèrent particulièrement prometteurs.

La principale différence réside dans la substance de référence utilisée pour dresser les chiens à détecter les supports numériques : aux États-Unis, ils sont imprégnés de l’odeur d’une molécule organique, le TPPO (Triphenylphosphine Oxide), tandis que la France – qui a commencé les expérimentations en 2023 en lien avec la Suisse – utilise comme marqueur olfactif un élément métallique, le tantale.

Le TPPO est présent dans les circuits imprimés, mais aussi dans les colles et les résines utilisées pour assembler les cartes. L’avantage est qu’il s’agit d’une molécule stable, peu volatile et très répandue. Ce qui permet aux chiens de détecter un large spectre de supports, tels que clés USB, disques durs, téléphones etc.

Le tantale est une « matière commune à tous les circuits imprimés et contenue dans tous les processeurs (…) il suffit de 3 mg de tantale pour que Snatch [ndlr : un des premiers chiens gendarmes numériques français] identifie l’objet et se mette en arrêt », expliquait un maître-chien dans un reportage télévisé diffusé en France le 31 mai dernier (7). L’avantage du tantale est qu’il s’agit d’un marqueur très fréquent dans les circuits modernes de stockage et moins sensible aux variations de température et d’humidité. Les retours d’expérience font ainsi état d’une excellente détection « à hauteur de 70% » (8) en particulier des supports miniaturisés modernes (Ledger crypto, micro-SD, etc). Le tantale a été identifié par des équipes de recherche aux Pays-Bas, précurseurs en Europe dès 2021. Les Pays-Bas ont ainsi développé une véritable méthode scientifique très documentée, laquelle pourrait faciliter un éventuel processus de standardisation au niveau européen.

Les méthodes varient également en matière d’entraînement des chiens selon les pays : en Australie, une approche très opérationnelle est favorisée en sélectionnant tout d’abord leurs meilleurs chiens de détection et en introduisant une imprégnation olfactive d’objets réels plus tôt que dans les protocoles européens.

Quant à la sélection de la race du chien selon les pays, elle dépend bien-sûr de facteurs culturels, mais doit répondre à des critères différents que dans d’autres spécialités cynotechniques (narcotrafic ; recherche d’explosifs ou de personnes, etc) : une bonne résistance au stress et une forte capacité de concentration sont en particulier requises pour des chiens amenés à travailler dans des environnement clos, d’où le choix fréquent de labradors comme aux Etats-Unis (qui utilisent aussi des Golden retrievers, des Springer Spaniel ou encore des Beagle), en Australie et aux Pays-Bas. Mais on retrouve le choix traditionnel du Berger Malinois en France et en Belgique.

Multi-missions, ces chiens se montrent particulièrement adaptés à l’élargissement du champ de manœuvre de la détection numérique.

 

Une compétence aujourd’hui transverse face à la numérisation exponentielle de la société

 

Si la toute première affaire ayant réussi grâce à l’utilisation de chiens formés à la détection de supports numériques était une affaire de pédocriminalité aux Etats-Unis et que ce domaine continue de recenser de nombreux cas, leurs missions ne cessent de s’élargir au rythme de l’inventivité de la criminalité. On les retrouve ainsi dans les secteurs suivants :

Les investigations financières :
Les criminels utilisant de plus en plus de clés USB chiffrées, des portefeuilles physiques de cryptomonnaies ou encore des microSD, la sécurisation des preuves avant leur disparition dans les affaires de fraude bancaire, d’arnaques numériques, de blanchiment d’argent ou de crypto-criminalité peut être réalisée grâce à l’intervention d’un chien entraîné à les dénicher dans les endroits les plus dissimulés. Selon certaines statistiques américaines, notamment en provenance de l’unité ESD de la police de Seattle, les chiens trouvent un support numérique caché là où la fouille humaine le manque dans 25 à 30 % des interventions (9).

Le contre-espionnage et la protection industrielle :
Toujours aux Etats-Unis, un certain nombre de cas documentés montrent que les ESD K9 ont participé à des fouilles dans des salles de réunion sécurisées, zones classifiées ou encore des entreprises sensibles impliquées dans des litiges de propriété intellectuelle.

Entraînés à déloger même un téléphone désossé caché dans un plafond ou une carte électronique greffée dans un objet banal, les chiens doivent dans ces cas-là rechercher des appareils d’écoute, des disques durs, des micro-émetteurs ou micro-modules de transmission, ou encore des clés USB dites « drop devices », c’est-à-dire des dispositifs USB piégés servant à infiltrer un réseau ou installer un accès clandestin.

Le « Naval Criminal Investigative Service » (NCIS) déploie ainsi désormais ses chiens de détection de supports électroniques non seulement dans le cadre d’enquêtes criminelles, mais également pour des missions de contre-ingérence et de cybersécurité.

Le programme ESD K-9, intégré à la direction « Operational Technology and Cyber Innovation », est considéré comme un atout pour détecter des dispositifs de stockage dissimulés susceptibles d’affecter la sécurité d’installations, de personnels ou d’opérations sensibles. Le NCIS a par ailleurs mis en place le programme K-9 PAWS en vue de suivre de façon structurée les déploiements, les types d’appareils retrouvés et la performance globale de ces équipes et de standardiser en particulier le taux de réussite par rapport au nombre de déploiements, le pourcentage de faux positifs, ou encore l’impact de la température ambiante (10).

Le renforcement de la sûreté de la base industrielle de défense et de toute entreprise à caractère stratégique peut être grandement facilitée par l’intervention d’unités canines numériques susceptibles de participer à des audits de sécurité, à la détection d’appareils clandestins ou encore à la sécurisation de lieux de réunions sensibles.
Dans le secteur privé, certaines sociétés de sûreté et d’investigation commencent de fait à recourir à ces chiens dans des contextes de protection industrielle ou d’enquêtes internes. Des prestataires américains, comme Legal Eye Investigations ou Paragon Service Group (11), mettent ainsi en avant l’usage de chiens ESD pour retrouver des appareils électroniques cachés dans des bureaux, des salles de réunion ou des logements, afin de documenter des cas d’espionnage présumé, de surveillance illicite ou de traite humaine.

Le narcotrafic :
Démanteler l’infrastructure numérique physique d’un réseau de trafiquants de drogue peut conduire à sa chute, car il ne sera plus en état de coordonner ses opérations. Cette infrastructure inclut par exemple des téléphones jetables dissimulés, des cartes SIM, des GPS modifiés, des appareils électroniques utilisés pour piloter des drones, ou encore des micro-caméras servant à surveiller les points de deal.

La lutte anti-terroriste :
La lutte contre le terrorisme et la radicalisation passe par la recherche d’ordinateurs servant à produire des manifestes, de supports contenant des vidéos d’allégeance ou des instructions techniques (fabrication d’IED, drones armés, etc.). Retrouver une carte microSD brûlée ou localiser un disque dur crypté sont du ressort de ces unités canines spécialisées.

La protection des infrastructures :
Le contrôle de zones sensibles (centres de données, salles de serveurs, etc), la détection d’appareils électroniques clandestins dans des zones interdites ou encore la vérification de salles de crise, postes de commandement, centres médias sont cruciaux et nécessitent différentes missions (comme par exemple le repérage de boitiers GPS cachés sous des véhicules ou de boitiers de transmission clandestins sur des installations).

Cette compétence peut aussi être utile pour aider à retrouver des supports ayant disparu dans le cas d’incidents de cybersécurité, de fraude ou d’enquêtes internes sensibles.

La sécurité aéroportuaire :
Idem pour la sécurité des accès dans les aires de transit et les frontières : les chiens numériques pourraient devenir de précieux alliés.

 

En matière de prévention des risques, ces binômes spécialisés peuvent s’avérer particulièrement utiles en renforcement de fouilles pré-évènementielles et en vue de la sécurisation en amont de zones sensibles. Déjouer les attaques informatiques commencent parfois par un déni d’accès physique à un support qu’un chien de détection numérique va pouvoir réaliser, qu’il s’agisse d’une clé usb, d’un micro-module inséré dans un routeur ou de tout matériel destiné à écouter, filmer, aspirer, voire falsifier des données. Il en va de même en ce qui concerne la sécurisation des personnes physiques (VIP) des convois aux chambres d’hôtel (12).

Dans le domaine de la gestion de crise, ce type de compétences encore relativement nouvelles peuvent astucieusement appuyer les opérations pour retrouver tout support numérique, serveur endommagé ou carte mémoire des systèmes de surveillance permettant de comprendre les origines d’une catastrophe ou d’en anticiper les risques secondaires, qu’il s’agisse d’incendie, d’accident industriel ou autre. Ce type d’intervention a de fait déjà eu lieu dans le cas d’incendie, et la récupération de téléphones fondus, de microSD ayant survécu, ainsi que de boitiers de caméras de surveillance, a permis d’accélérer le processus de reconstitution des faits.

Même si les données d’efficacité comparative demeurent largement protégées pour des raisons opérationnelles, le renforcement de la sécurité est déjà palpable au travers d’actions très concrètes, tel le contrôle de la circulation illégale de téléphones dans le monde carcéral permettant de mener des opérations à distance (13).

Si les chiens de détection numérique constituent aujourd’hui une niche émergente, les résultats sur le terrain montrent que ces équipes peuvent réduire substantiellement les angles morts dans un monde saturé de données et d’appareils miniaturisés et faire échec aux caches les plus sophistiquées : une sorte de « lampe torche numérique – ou olfactive – » en quelque sorte, pour reprendre une analogie d’un agent du NCIS comparant la recherche de traces judiciaires dans l’obscurité avec ou sans lampe torche (14).

Pont entre la recherche physique traditionnelle et l’exploitation numérique des données, cette capacité transforme aussi la logique de perquisition : un support « froid » peut désormais être identifié très tôt dans une intervention, ce qui réorganise la chaîne de préservation, l’analyse forensique et, potentiellement, les dispositifs de contrôle liés aux migrations ou au franchissement de frontières, où les caches numériques jouent un rôle croissant.

Si l’enjeu juridique n’est pas traité de façon homogène dans tous pays ayant aujourd’hui recours à cette compétence, la constitution d’une doctrine adaptée accompagne progressivement son déploiement sur le terrain et a mesure que les retours d’expérience s’affinent.

 

A l’heure où les nations structurent leur résilience numérique, ces capacités pourraient devenir un élément clé de la chaîne de preuve, de l’interopérabilité opérationnelle et du contrôle des flux sensibles, tout en s’intégrant à de futurs systèmes de supervision basés sur l’IA.

 

Par Murielle Delaporte 

 

Notes et références


(1) « Les différentes formes de criminalité possèdent quasiment toutes une composante « cyber » », rappelle un article publié le 4 juin 2024 sur le site de la police fédérale belge présentant le premier chien ICT de cette dernière . Voir : https://www.police.be/5998/fr/actualites/luna-le-premier-chien-ict-de-la-police-federale
Voir également sur ce sujet : https://www.lecho.be/economie-politique/belgique/general/luna-le-premier-chien-ict-de-belgique-forme-pour-detecter-les-traces-numeriques/10537877.html

(2) https://time.com/3431530/police-dogs-sniff-laptops-usb-flash-drives-child-porn/

(3) https://iacis.org/iis/2023/4_iis_2023_40-50.pdf ;

https://minister.homeaffairs.gov.au/KarenAndrews/Pages/expansion-of-australian-first-technology-detection-dog-program-18-05-2021.aspx

https://www.researchgate.net/publication/357075793_Dogs_as_Detectors_for_Hidden_Digital_Storage_Devices_A_Pilot_Study_from_the_National_Police_of_The_Netherlands ;

https://www.police.be/5998/fr/actualites/luna-le-premier-chien-ict-de-la-police-federale ;

https://www.lecho.be/economie-politique/belgique/general/luna-le-premier-chien-ict-de-belgique-forme-pour-detecter-les-traces-numeriques/10537877.html ;

https://www.ouest-france.fr/politique/defense/gendarmerie/les-e-dogs-ces-chiens-gendarmes-qui-detectent-lelectronique-ab27adbc-4239-11f0-adfe-9f9958012b6a

(4) https://ourrescue.org/operations

(5) https://www.afp.gov.au/news-centre/media-release/afp-showcases-frontline-crime-fighting-canines-keeping-australians-safe

(6) D’avril 2023 – date d’entrée en vigueur du programme à la publication de ce chiffre en août 2024 dans la presse canadienne. Voir : https://www.canada.ca/en/correctional-service/lets-talk/read/2024/08-02-detectordogs.html
Voir également : https://www.peelpolice.ca/Modules/News/index.aspx?newsId=71b923c1-253e-4809-8e06-923a60ba3896

(7) https://www.tf1info.fr/justice-faits-divers/video-reportage-tf1-nous-on-ne-sent-rien-comment-les-chiens-renifleurs-2-0-de-la-gendarmerie-detectent-les-objets-numeriques-2374116.html

(8) https://www.20minutes.fr/high-tech/by-the-web/4157449-20250607-cartes-sim-cles-usb-disques-durs-e-dogs-chiens-gendarmes-capables-detecter-electronique

(9) https://www.criminallegalnews.org/news/2024/aug/1/dogs-are-sniffing-out-electronics/
https://www.pumphreylawfirm.com/blog/what-is-an-electronic-detection-dog/

(10) https://www.ncis.navy.mil/Media/News/Article/4272479/ncis-adds-three-new-noses-to-the-esd-k9-program/

(11) https://www.legaleyeinvestigations.com/k9-radar-with-legal-eye-investigations ; https://paragonservicegroup.net/

(12) L’US Secret Service s’est notamment récemment doté d’un programme de formation : https://www.secretservice.gov/newsroom/behind-the-shades/2025/06/electronic-detection-dogs-equip-agencies-high-tech-tracking

(13) Voir sur ce sujet par exemple l’étude réalisée par l’Urban Institute en 2024 : https://www.urban.org/sites/default/files/2024-04/Cell_Phone_Detection_Canines_for_Contraband_Interdiction_in_Correctional_Settings.pdf

(14) La citation exacte de l’agent spécial Tristy Terwilliger, chef de la division « death, Cold Case and Violent Crimes » au sein du NCIS, est la suivante : « Devices located during the secondary search are the items that would have been left behind had the K-9 not been utilized, (…). When we look at the success of the program, it will be primarily focused on those secondary searches where we say that these are the things we might not have collected without the K-9. (…) If you think about searching for bloodstains in the dark, you might find 50% of them,” she said. “But if I give you a flashlight, you’re going to find 100%. » Elle est issue de la source pré-citée : https://www.ncis.navy.mil/Media/News/Article/4272479/ncis-adds-three-new-noses-to-the-esd-k9-program/

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