Photo : qualification d’opérations aériennes d’assault sur un Black Hawk de la 25e Brigade d’aviation de combat © Sergent Olivia Cowart, U.S. Army, Hawai, septembre 2025
La « dronisation » accrue du champ de bataille a entraîné au sein des forces armées de nombreuses nations un débat de fond sur la suppression potentielle de certaines unités de combattants au profit de systèmes autonomes. Les pays disposant d’une composante aérienne au sein de leurs forces terrestres ont été particulièrement enclins à débattre de leur évolution, voire dans certains cas de leur maintien pur et simple.
L’« U.S. Army Aviation » a fait le choix d’un rééquilibrage et d’une modernisation allant dans le sens d’une nouvelle forme de répartition des missions entre composante pilotée et composante autonome.
Les hauts responsables de l’armée de Terre américaine ont ainsi réaffirmé le rôle essentiel de l’« Army Aviation » et donc le bien-fondé de leur existence, mais en soulignant l’impératif d’adaptation au changement de nature du conflit moderne.
Le Major Montrell Russell, porte-parole de l’U.S. Army Aviation a ainsi décrit cette contrainte : « bien que l’aviation de l’armée de Terre fasse intégralement partie de la manœuvre combinée, l’utilisation de l’espace aérien – autrefois l’apanage de nos formations aériennes – devient désormais accessible à des soldats issus d’autres unités grâce à la technologie des drones, ce qui réduit les besoins en formation pour la conduite de telles opérations. » (1)
Si l’emploi des drones est accessible à toutes les unités, ce qui l’est moins en revanche est son intégration dans une manœuvre aéroterrestre intégrée devant privilégier la « vitesse par rapport au poids » et « une force décisive par rapport à la masse » dans le cadre de l’initiative de transformation de l’armée de Terre lancée en mai dernier (2).
Dans une lettre, co-signée par Dan Driscoll, secrétaire d’état de l’armée de Terre américaine, et par le général Randy George, chef d’état-major de l’armée de Terre, l’ATI pour « Army Transformation Initiative » est décrite comme s’inscrivant dans le prolongement d’une directive du Secrétaire à la Défense, datée du 30 avril 2025, intitulée « Army Transformation and Acquisition Reform ».
L’objectif est en particulier d’adapter l’armée de Terre américaine à l’essor des systèmes autonomes, des capteurs, des technologies duales, et à la rapidité d’évolution des capacités adverses, en révisant ses modes d’organisation, de formation, de combat et d’acquisition.
Trois axes d’effort y sont soulignés :
– un renforcement capacitaire consistant à intégrer en particulier missiles longue portée et UAS modernes et à renforcer les systèmes de commandement et contrôle avec l’apport de l’IA) ;
– une optimisation structurelle visant à éliminer les redondances et se concentrer davantage sur les forces combattantes : chaque brigade d’aviation verra la suppression d’un escadron de cavalerie aérienne, tandis que les brigades d’infanterie de combat deviennent des brigades de combat mobiles ;
– l’annulation de programmes obsolètes ou pas assez rentables, tels que l’hélicoptère Apache AH-64D, mais aussi le drone Gray Eagle (3).
C’est dans ce contexte qu’intervient l’annonce faite le 19 septembre dernier, selon laquelle l’US Army prévoit de supprimer 6 500 postes dans ses unités d’aviation au cours des années fiscales 2026 et 2027 (4).
Ce choix s’appuie sur une série d’arguments tangibles bien connus : les systèmes autonomes permettent de réduire les risques humains en supprimant l’exposition directe des équipages dans des zones hostiles ; leur coût opérationnel, maintenance et logistique est souvent inférieur à celui d’un hélicoptère piloté sur le long terme ; enfin, la survenue des conflits modernes a démontré l’efficacité des essaims de drones pour saturer les défenses adverses à moindre frais (4).
A l’inverse, l’importance des plateformes pilotées demeure indéniable. Face à des conditions météo imprévues, des brouillages ou des scénarios complexes, la décision humaine reste un avantage indiscutable, tandis que la capacité à exécuter des missions ardues — évacuation sanitaire, transport tactique, appui rapproché, missions d’in- ou d’exfiltration — dans des contextes dynamiques continue de reposer sur l’aviation traditionnelle de manière irremplaçable.
Correspondant à l’« automatisation » de certaines missions type ISR, appui feu planifié, saturation de défense ennemie voire opérations de leurrage (7), cette réduction de 20% de la composante aviation de l’US Army inclut pilotes, équipages et maintenanciers. Une partie d’entre eux sera redirigée vers d’autres missions au sein des unités d’aviation dont la modernisation offre de nouveaux champs des possibles ( avec par exemple l’acquisition du FLRAA pour « Future Long-Range Assault Aircraft » (7)).
Une des questions concerne bien-sûr la reconversion des compétences vers les drones, laquelle peut s’avérer délicate pour des équipages et/ou maintenanciers qui préféreront quitter l’armée au profit du secteur civil.
L’intégration dans la réserve et la Garde nationale américaines fait également partie des options envisagées par l’US Army qui doit se pencher sur ce dossier ce mois-ci et tenter d’accompagner cette bascule doctrinale et humaine sans rupture brutale.
Par Murielle Delaporte
Notes & références :
(1) Citation initiale : « While Army aviation remains an essential member of the combined arms team, the use of airspace for maneuver that was once unique to our aviation formations is now becoming accessible to Soldiers in multiple formations via drone technology, reducing training requirements for conducting such operations », telle que publiée dans : https://www.militarytimes.com/news/your-army/2025/09/19/army-to-cut-6500-active-duty-aviation-jobs-over-next-2-years/
(2) Lettre co-signée par le chef d’état-major de l’Armée de terre, le général Randy George, et le secrétaire d’Etat de l’armée de Terre, Daniel Driscoll, citée dans : https://www.stripes.com/branches/army/2025-05-02/army-transformation-plan-17654128.html
(3) https://www.army.mil/article/285100/letter_to_the_force_army_transformation_initiative
(4) https://www.armytimes.com/news/your-army/2025/09/19/army-to-cut-6500-active-duty-aviation-jobs-over-next-2-years; https://thedefensepost.com/2025/09/23/us-army-aviation-job-cuts/
(5) https://warroom.armywarcollege.edu/articles/transform-for-drones
(6) https://www.flightglobal.com/helicopters/bell-secures-osprey-production-though-2027-spanning-gap-until-flraa-work-begins/162737.article
(7) Un article de Charlie Phelps en date de janvier dernier décrit ainsi les tendances en matière de leurrage par drones : « Another element of the swarm focused on deception. Hundreds of 3D printed, ultracheap drones, barely more than styrofoam wings and GPS chips, buzzed toward enemy formations broadcasting false signatures. Some carried heat packs to mimic vehicle infrared signatures; others transmitted spoofed radio traffic suggesting a US mechanized brigade was massing just beyond the ridgeline. The adversary’s radar operators reported swarms of contacts that cluttered their picture, forcing them to extend radar queuing and emission while expending expensive surface-to-air missiles on worthless targets. » (https://mwi.westpoint.edu/let-them-fly-to-generate-drone-combat-readiness-army-installations-must-step-up/)