Photo : un Caïman en vol avec un Tigre lors de la célébration des 70 ans de l’aviation légère de l’armée de Terre française © armée de Terre, https://www.defense.gouv.fr/terre/actualites/alat-70-ans-maitrise-airs-dinnovation-tactique
Les hélicoptères d’assaut, appelés Hélicoptères de manœuvre et d’assaut (HMA) en France et, généralement, « Assault helicopters » dans la terminologie anglo-saxonne, sont surtout connus en tant que vecteurs de mobilité tactique pour mener à bien leurs missions, à savoir transport de troupes, dépose de commandos, exfiltration, évacuation sanitaire ou encore ravitaillement.
Si ces missions demeurent d’actualité et justifient en elles-mêmes le maintien parfois contesté d’une composante hélicoptère au sein des forces armées, l’évolution du champ de bataille, des menaces et de la technologie a transformé en profondeur cette véritable pierre angulaire de la manœuvre aéromobile et aéroterrestre.
De la lutte anti-terroriste au retour de la haute intensité, de la prolifération des « Man-Portable Air Defense Systems » (MANPAD) – missiles sol-air portatifs – à celle des drones, en passant par le retour de systèmes de défense aérienne de courte portée (SHORAD) avancés et de la guerre électronique, les hélicoptères ne peuvent plus évoluer, ni comme du temps des dividendes de la paix, ni comme celui de la Guerre froide.
Sous la pression de ce nouvel environnement, les forces américaines, européennes et asiatiques ont fait évoluer leurs flottes, leurs doctrines et leurs technologies. Même s’il s’agit souvent de changement de standards sur des cellules existantes, les appareils du XXIème siècle ont tendance à différer profondément de leurs prédécesseurs tant en termes de systèmes que de profils de mission. On observe ainsi une transition progressive des hélicoptères d’assaut du simple transport vers un rôle de « C2 volant » (C2 pour « Command & Control »), capable de synchroniser en temps réel l’action au sol, de relayer les communications et d’intégrer des capteurs avancés, voire de télépiloter des drones afin d’opérer dans des milieux de plus en plus contestés.
« Même si le C2 est un savoir-faire qui n’est pas nouveau au sein des unités d’aérocombat, puisque c’est cette pratique qui nous permet, depuis de très nombreuses années, de concevoir, conduire et coordonner nos opérations autonomes et/ou dans la profondeur. Ce qui émerge maintenant, c’est l’intérêt que lui portent les unités interarmes, jusqu’au niveau brigade. En effet, la compatibilité des moyens de communication entre le sol et la troisième dimension (même proche du sol), la nécessaire accélération du rythme décision-action pour recréer un effet de surprise, les besoins de coordination « temps réel » entre les différentes composantes impliquées dans une opération et la très grande mobilité de ces moyens de commandement sont un véritable atout, en particulier pour les forces terrestres », rappelle un ancien officier de l’aviation légère de l’armée de Terre française (ALAT).
Une tendance que le gouverneur de Metz, le général de corps d’armée Pierre Meyer, avait anticipée dans le cadre de différentes interventions publiques ces dernières années (1). Lors d’une interview accordée à Air et Cosmos lorsqu’il était encore COMALAT en 2023, il expliquait ainsi : « nous sommes persuadés que l’ALAT (…) jouera un rôle déterminant dans les années qui viennent. (…) La coopération drone-hélicoptère est fondamentale. On peut imaginer une infiltration de l’ALAT dans une manœuvre complexe flanc-gardée par des drones, qui peuvent eux-mêmes démultiplier l’aérocombat. (…) On parle d’essaims de drones, de munitions téléopérées, que l’on peut lancer d’un hélicoptère (…). Tous ces sujets sont sur la table et (…) l’enjeu est cette connectivité pour pouvoir non seulement télépiloter un drone, mais aussi pouvoir commander, pouvoir avoir du C2 à bord et être en phase avec le nouveau combat du futur Scorpion. » (2)
Deux ans plus tard, la prospective est bien en passe de devenir réalité au sein de nombre de forces armées. Cet article propose ainsi un tour d’horizon succinct de cette transformation, en examinant l’évolution des missions et leur adaptation face aux menaces actuelles et au regard des axes de modernisation déjà entrepris au sein des alliés (3).
Hélicoptères d’assaut : des spécifications différentes, mais une évolution des doctrines d’emploi similaire
Une terminologie variable pour une fonction commune
Il paraît utile de rappeler en un premier temps que les hélicoptères d’assaut regroupent selon les forces armées des capacités différentes et de souligner quelques différences sémantiques majeures.
Rien qu’en Europe et aux Etats-Unis, en France, on parle de HMA avec le Caïman (NH90), le Cougar, le Caracal et, à terme et dans certaines configurations, le futur Guépard (H160M) (4). Aux États-Unis, la terminologie distingue les hélicoptères d’assaut – « Assault helicopters » – comme le Black Hawk UH-60 et, à terme, son successeur dans le cadre du programme FLRAA (« Future Long-Range Assault Aircraft »), des hélicoptères lourds d’assaut – « Heavy Assault helicopters » – tels que les CH-53E Super Stallion et son successeur CH-53K King Stallion pour les Marines, ainsi que le CH-47F Chinook et son Block II pour l’Army, et la dernière version MH-47G Chinook pour les forces spéciales (5). L’OTAN retient une terminologie similaire, faisant référence aux « Medium et Medium-Heavy Utility & Transport helicopters » (6). Au Royaume-Uni, on trouve, en plus des appareils américains, les « Commando Helicopters » des Royal Marines comme l’AW101 Merlin HC4, ainsi que le Wildcat AH1 dédié à l’Army Air Corps, tous deux de production anglo-italienne. En Europe de l’Est, la classification inclut les Mi-17 et Mi-171Sh dans les « assault/transport tactical helicopters ».
Si la sémantique diffère donc sensiblement, il s’agit d’une catégorie fonctionnelle homogène, moins en raison de leurs spécificités – puisqu’elle va des appareils médians de 6 à 12 tonnes aux hélicoptères lourds pouvant dépasser 20 tonnes en charge (et pouvant se rapprocher des 40 tonnes en masse maximale au décollage dans le cas du CH53K) -, qu’en raison de leur doctrine d’emploi, laquelle se rejoint et se décline en cinq grandes catégories : la manœuvre aéroterrestre, l’assaut aérotransporté, l’insertion et exfiltration en territoire hostile, le soutien des forces spéciales et la logistique devenue de façon croissante « au contact ».
L’évolution des missions : du transport tactique au C2 embarqué
Ainsi que le souligne un ancien officer de l’ALAT, MEDEVAC, mais aussi transport logique demeurent plus que jamais d’actualité, et ce, en raison d’« impératifs de remise en service rapide de nos systèmes d’armes souvent peu nombreux : ces derniers sont dépendants de sous-systèmes, dont la remise en état dépend exclusivement d’un savoir-faire industriel et, par conséquent, induit toujours des flux logistiques sur de très longues distances faute de stocks suffisants ».
Le cœur de mission des hélicoptères d’assaut reste par ailleurs naturellement l’assaut aéromobile. Qu’il s’agisse des missions des forces spéciales françaises, britanniques ou américaines, ou des insertions et extractions sous menace, la capacité à projeter des troupes au plus près de l’objectif – la plupart du temps sans pouvoir se poser – demeure la raison d’être de ces appareils. Toutefois, le niveau de préparation, de guidage et de synchronisation exigé a radicalement changé au cours des deux dernières décennies.
Cette évolution est particulièrement visible dans la montée en puissance des missions au profit des forces spéciales. Ces dernières exigent désormais des capacités de navigation à basse altitude de nuit, d’infiltration sans posé, de couverture électronique et d’allonge importante. Le MH-47G Chinook des forces spéciales américaines illustre parfaitement cette évolution, en ce sens qu’il a été conçu spécifiquement pour les missions d’insertion, d’exfiltration et de ravitaillement en territoire hostile, y compris sans posé.
Pour répondre aux exigences d’allonge, il dispose ainsi de réservoirs supplémentaires qui dépassent des flancs de l’appareil et d’une perche de ravitaillement en vol rétractable, lui conférant une autonomie considérablement supérieure aux versions antérieures (7). Le Caracal dont dispose l’armée de l’Air et de l’Espace française est également doté d’une capacité de ravitaillement en vol particulièrement précieuse.
En ce qui concerne le vol en très basse altitude, l’ALAT, l’US Army Aviation et l’US Marine Aviation partagent ce savoir faire – dit « vol tactique » – aujourd’hui renforcé par l’avènement de nouvelles technologies, comme les radars multimodes permettant le suivi et l’évitement de terrain ainsi que la détection météorologique.
Mais la véritable révolution doctrinale réside dans l’émergence d’un nouveau rôle : celui de « C2 volant » au même titre que la plupart des plateformes volantes aujourd’hui . Les hélicoptères d’assaut deviennent progressivement des nœuds de commandement tactique capables de fusionner de plus en plus rapidement les données de multiples capteurs (infrarouge, électro-optique, radars, drones), de relayer plusieurs réseaux de communication (VHF, UHF, SATCOM, liaisons de données tactiques – y compris la L16 en mode réceptif -, systèmes de gestion du champ de bataille) et de servir de relais. Cette connectivité croissante confère ainsi aux voilures tournantes la capacité de coordonner une manœuvre combinée – ADN de l’armée de Terre -, y compris aujourd’hui avec des drones. Synchroniser l’action de troupes au sol et maintenir le commandement dans un environnement dégradé peuvent faire pencher la balance sur le champ de bataille, à mesure que l’autonomie de cette composante hélicoptères pourrait être amenée à croître grâce aux innovations en cours.
Parmi les plateformes ayant entrepris ce type d’ évolution, on peut citer à titre d’exemple : le Caracal des forces spéciales françaises (AAE et 4e RHFS), qui intègre désormais des capacités C2 embarquées permettant la conduite et la coordination de mission en vol y compris pour les opérations nocturnes, le MH-60M américain, qui partage l’architecture avionique du MH-47G, l’AW101 Merlin britannique, qui a été optimisé pour le C2 amphibie, et le NH90, qui, en configuration SOF, peut recevoir des kits mission C2.
Survivabilité et modernisation : une adaptation incontournable au champ de bataille contemporain
Les nouvelles menaces : un environnement de plus en plus contesté
L’environnement tactique moderne impose des contraintes nouvelles qui ont définitivement mis fin à l’ère d’un transport bénéficiant de la protection de la dominance aérienne. Quatre catégories de menaces transforment désormais la donne pour les hélicoptères d’assaut.
La prolifération des MANPAD modernes constitue la première de ces menaces. Les conflits récents, notamment en Ukraine, ont démontré l’efficacité de systèmes capables d’engager un hélicoptère à distance accrue et dotés de contre-contre-mesures améliorées. Les pertes importantes d’hélicoptères russes témoignent de cette réalité (8). Face à cette menace, la solution de suppresseurs d’échappement infrarouge réduisant la signature thermique peut contribuer à protéger l’appareil contre les capteurs et missiles à guidage infrarouge.
La renaissance de systèmes SHORAD (« Short Range Air Defense ») de plus en plus sophistiqués représente la deuxième évolution majeure. Nombre de systèmes mobiles créent de véritables « bulles létales » en basse altitude, rendant l’approche des zones d’assaut considérablement plus dangereuse (9).
Les drones et munitions rôdeuses constituent une troisième catégorie de menaces, particulièrement insidieuse. Les hélicoptères sont désormais menacés bien avant d’arriver en zone d’assaut : les drones ISR identifient leurs trajectoires, les drones kamikazes traquent leurs points faibles, et les munitions rôdeuses saturent leurs approches. Le conflit ukrainien a fourni d’abondantes illustrations de cette nouvelle réalité (10).
Enfin, le retour de la guerre électronique et le brouillage GNSS (« Global Navigation Satellite System ») remettent en cause l’accès (relativement) garanti à la navigation et aux communications. La capacité d’une navigation autonome par suivi de terrain même en l’absence de signal GPS est ainsi plus que jamais un impératif dans les conditions actuelles.
Le renforcement de la survivabilité des hélicoptères d’assaut passe par ailleurs par un durcissement des moyens de protection létaux embarqués et des matériaux utilisés lors de la construction des appareils, une tendance observée partout.
Vers une nouvelle ère : l’hélicoptère d’assaut comme pivot du multi-domaine
L’évolution des hélicoptères d’assaut s’inscrit dans un mouvement de convergence doctrinale entre alliés, mais cette synergie se heurte à des obstacles persistants. Les divergences en matière de systèmes radio, les capacités SOF inégales selon les nations et les différences dans les doctrines d’emploi compliquent l’interopérabilité recherchée. Une harmonisation complète reste un objectif de long terme.
Dans le cadre conceptuel du MDO (« Multi-Domain Operations ») – M2MC en français pour Multi-milieux Multi-champs -, les hélicoptères d’assaut acquièrent une importance nouvelle en tant que « nœuds de cohésion » entre les différentes composantes du champ de bataille.
Etre en capacité d’assurer la liaison entre les forces au sol, les drones, l’artillerie longue portée, le renseignement d’origine électromagnétique et les postes de commandement de brigade est un élément de victoire et de supériorité sur le champ de bataille. Cette fonction d’intégration, rendue possible par les capacités de fusion de données et de relais de communication des appareils modernisés en temps réel, fait sans conteste de l’hélicoptère d’assaut un élément structurant de la manœuvre interarmées.
« La pratique du vol de combat au plus près du sol, de jour comme de nuit et entre les obstacles, tel que nous le pratiquons dans l’ALAT, tout comme la navigation à l’aide de centrales à inertie par nature indépendante des signaux GPS ou encore la coopération étroite drone/hélicoptère, facteur de démultiplication d’effets, constituent des moyens d’adaptation à ces nouvelles menaces. L’innovation et l’évolution des technologies de pointe sont des éléments clés permettant d’y faire face », souligne un ancien officier de l’ALAT.
Loin de signer l’obsolescence des hélicoptères d’assaut traditionnels, l’émergence des drones apparaît surtout particulièrement complémentaire. De l’avis de l’ancien COMALAT, le général Meyer, une répartition des missions s’effectue ainsi de façon naturelle : la reconnaissance, la désignation de cibles par laser, la protection des flancs pendant la manœuvre (« flanc-garde »), la saturation au contact sont des missions auxquelles se prêtent mieux les drones aujourd’hui que les hélicoptères (11), lesquels conservent leur pertinence pour l’extraction, le commandement embarqué, la gestion du tempo opérationnel et les missions sensibles nécessitant une présence humaine.
La convergence de la dronisation de l’armée de Terre et des progrès continus en matière de fusion de données et de connectivité semble de fait au contraire encore renforcer l’importance de l’hélicoptère comme plateforme d’intégration et de coordination (12).
De plus en plus polyvalents, les hélicoptères d’assaut deviennent donc des plateformes multi-rôle, multi-capteurs, connectées et capables d’assurer un commandement tactique déployé en première ligne. Allonge étendue grâce au ravitaillement en vol ou des réservoirs supplémentaires, furtivité améliorée par les suppresseurs infrarouge, avionique de pointe permettant le vol nocturne à basse altitude, systèmes défensifs intégrés et capacité C2 embarquée…
Toutes ces caractéristiques, que l’on retrouve à des degrés divers dans les programmes de modernisation alliés, dessinent les contours de l’hélicoptère d’assaut du XXIème siècle.
La convergence doctrinale entre alliés, les efforts de modernisation et la pression opérationnelle montrent que cette transformation est durable. Dans un environnement de déni d’accès toujours plus sophistiqué, où drones, systèmes de défense anti-aérienne et guerre électronique redéfinissent les règles du jeu, ces hélicoptères constituent un maillon essentiel de la supériorité aéromobile et du combat aéroterrestre moderne.
Par Murielle Delaporte
Notes
(1) Voir les interviews du général Meyer en 2023 et 2024 :
Journal de l’Aviation : https: //www.journal-aviation.com/podcast-aviation/lavenir-de-lalat-est-dintervenir-dans-la-grande-profondeur-general-pierre-meyer-commandant-de-lalat-20240506.html
Paris Air Forum : https: //www.youtube.com/watch?v=zu7OCqm5WMs
Air et Cosmos : https://air-cosmos.com/article/perspectives-et-retour-d-experience-pour-l-alat-avec-le-general-de-division-meyer-de-l-armee-de-terre-64843
(2) Général Meyer, vidéo Air et Cosmos (16 :16), ibid
(3) Voir par exemple :
NATO JAPCC, Enhancing NATO Helicopter Capability (2018) : https://www.japcc.org/white-papers/enhancing-natos-operational-helicopter-capability/
Istituto Affari Internazionali, European Defence Integration and Helicopter Capabilities (2017) : : https://www.iai.it/sites/default/files/quaderni_e_01.pdf
(4) Voir l’interview du général Meyer, COMALAT, en 2023 par Air et Cosmos : « Hélicoptères de l’Armée de Terre : évolution et retour d’expérience, avec le Général Meyer de l’ALAT », ibid
(5) Cf : doctrine officielle de l’US Army FM 3-04, Army Aviation (2020)
(6) Voir : NATO JAPCC, Enhancing NATO Helicopter Capability (2018) : https://www.japcc.org/white-papers/enhancing-natos-operational-helicopter-capability/
(7) Voir notamment sur ce sujet : https://www.militaryaerospace.com/sensors/article/55331965/boeing-special-operations-command-orders-mh-47g-special-forces-heavy-assault-helicopters-and-avionics
(8) RUSI, Preliminary Lessons in Conventional Warfighting from Russia’s Invasion of Ukraine (2022) : https://static.rusi.org/359-SR-Ukraine-Preliminary-Lessons-Feb-July-2022-web-final.pdf
(9) Voir par exemple sur ce sujet :
https://missilethreat.csis.org/russia-nato-a2ad-environment/ https://www.csis.org/analysis/revitalizing-european-air-defense https://www.cna.org/reports/2023/04/Russian-Combat-Air-Strengths-and-Limitations.pdfht
tps://static.rusi.org/SR-Russian-Air-War-Ukraine-web-final.pdf
https://hcss.nl/wp-content/uploads/2021/12/Integrated-Air-and-Missile-Defense-HCSS-Dec-2021.pdf
(10) https://www.rusi.org/explore-our-research/publications/special-resources/preliminary-lessons-conventional-warfighting-russias-invasion-ukraine-february-july-2022
(11) Général Meyer, Air et Cosmos, ibid.