Faire face aux stratégies d’attrition asymétrique par l’optimisation opérationnelle (I de II)

HELMA-P_communiqué

Depuis des millénaires, les commandants militaires ont considéré la masse – avoir plus de troupes et de matériel que l’adversaire – comme un facteur critique de victoire au combat. Cependant, les cinquante dernières années ont vu un virage de la masse vers la précision, une tendance qui s’est accélérée après la fin de la Guerre froide. La période des dividendes de la paix et l’époque des opérations expéditionnaires qui ont prévalu pendant trente ans étaient basées sur le concept de supériorité technologique.
Aujourd’hui, nous assistons à l’effondrement de cette distinction binaire entre masse et précision, les technologies émergentes permettant désormais de déployer simultanément des systèmes à la fois nombreux et précis, particulièrement dans le domaine des drones, comme ne cessent de le démontrer les conflits actuels.

Tant en Ukraine qu’au Moyen-Orient, on observe cette tendance que l’on pourrait décrire à bien des égards comme une stratégie d’attrition asymétrique. Au début de la guerre en Ukraine, les forces ukrainiennes utilisaient quelques drones turcs Bayraktar TB2. Deux ans plus tard, ils déploient une multitude de systèmes autonomes. Autre théâtre illustratif, celui de la mer Rouge où les Houthis ont ciblé de nombreux navires tant commerciaux que militaires, perturbant gravement le trafic maritime international. Selon le centre d’expertise français MICA Center pour « Maritime Information Cooperation & Awareness Center », rien qu’au cours de l’année 2024, les Houthis auraient ainsi utilisé environ 700 munitions pour leurs attaques, comprenant 40% de missiles balistiques, 2% de missiles de croisière, 56% de drones aériens et 2% de drones de surface.

Cette transformation change fondamentalement l’équilibre coût-efficacité des opérations militaires, des frappes de missiles ou de drones relativement peu coûteuses pouvant contraindre à mobiliser des dépenses défensives beaucoup plus importantes et créant par là-même un déséquilibre financier insoutenable à long terme uniquement pour se défendre.

D’un point de vue strictement militaire, cette crise met en avant l’équation caractéristique des conflits du XXIème siècle, à savoir comment équilibrer le besoin de masse – ou de contrer la masse – et celui de supériorité technologique : deux stratégies qui semblent s’opposer en termes d’investissements dans le domaine de la défense.

Cette série de deux articles se penche sur cette question en explorant certaines stratégies hybrides que les pays occidentaux commencent cependant à mettre sur pied en mettant tout d’abord en avant certains exemples d’optimisation opérationnelle ayant déjà fait leurs preuves par le passé, puis – focus de la seconde partie – en décrivant deux exemples concrets d’adaptation : l’un par l’Aviation légère de l’armée de Terre pendant l’opération Barkhane et l’autre, plus récent, par les forces armées américaines face à la capacité de nuisance houthiste.

Optimisation opérationnelle : quelques exemples qui ont fait leurs preuves

De nombreux exemples d’optimisation des ressources existantes faisant preuve d’innovation opérationnelle existent bien-sûr déjà – tant côté attaquant que défenseur et offensif que défensif -, si l’on examine les retours d’expérience (RETEX) de nombre de conflits passés. En voici quelques illustrations dans les domaines suivants :

Stratégie anti-accès A2/AD (« anti access / area denial »)

Exemple : l’emploi de mines navales de fortune

Historiquement, des mines navales relativement simples et peu coûteuses ont souvent posé des défis significatifs à des navires de guerre sophistiqués et coûteux. C’est un exemple classique d’une technologie asymétrique à bas coût qui a pu contrer efficacement des systèmes beaucoup plus onéreux.

Accroissement de la capacité de frappe

Exemple : l’adaptation de roquettes navales contre des cibles terrestres

Pendant la guerre du Golfe, l’US Navy a modifié des roquettes anti-navires Harpoon pour frapper des cibles terrestres. Cette adaptation peu coûteuse a étendu significativement les capacités de frappe sans nécessiter de nouveaux systèmes d’armes.

Lutte anti-IED

Exemple : le brouillage comme parade aux IED (« Improvised Explosive Device »)

Face aux engins explosifs improvisés (EED) en Irak et Afghanistan, les forces armées ont doté leurs véhicules de capacité de brouillage. Les brouilleurs embarqués visaient à perturber les signaux de détonation à distance, offrant une protection bien moins onéreuse (et souvent tactiquement plus efficace) que l’acquisition et le déploiement de véhicules blindés spécialisés.

Lutte anti-drone

Le nombre d’exemples ne cesse de croître dans ce domaine. On peut ainsi citer :

  • Systèmes anti-drones portables
    Des dispositifs anti-drones portables comme le DroneDefender et le DroneGun utilisent le brouillage RF pour neutraliser les drones commerciaux sans les détruire. Ces systèmes me coûtent que quelques dizaines de milliers d’euros par comparaison aux centaines de milliers d’euros requis pour l’acquisition de systèmes militaires conventionnels.
    • Fusils de précision contre drones
    Des tireurs d’élite ont été déployés comme solution économique contre les petits drones. Cette approche utilise des compétences et équipements existants plutôt que d’investir dans des technologies anti-drones coûteuses.
    • Drones commerciaux modifiés
    L’Ukraine a transformé des drones de loisir en plateformes de reconnaissance et d’attaque. Ces drones modifiés, coûtant quelques milliers d’euros, ont prouvé leur efficacité contre des équipements militaires russes valant des millions.
    • Filets et aigles contre les drones
    Certaines forces de sécurité ont expérimenté des méthodes très peu coûteuses et à faible technologie pour capturer des drones, comme des filets tirés par des lanceurs manuels ou encore l’entraînement d’aigles pour intercepter de petits drones.
    • Armes anti-drones à énergie dirigée
    Des systèmes laser portables de faible puissance ont été développés comme alternative économique aux missiles intercepteurs dans la lutte anti-drone. Ces systèmes peuvent engager de multiples cibles pour un coût par tir bien inférieur aux missiles conventionnels.

Renseignement « participatif » 24/7

Réseaux de surveillance à bas coût
L’Ukraine a développé une application mobile permettant aux civils de signaler les mouvements de troupes et d’équipements russes. Ce système de renseignement participatif fonctionne sur des smartphones ordinaires et fournit des informations précieuses à un coût bien inférieur aux systèmes de surveillance militaires traditionnels nécessaires pour une couverture permanente.

Ces exemples illustrent comment l’ingéniosité et l’adaptation peuvent souvent fournir des solutions efficaces et économiques face aux menaces émergentes en modulant si possible la riposte proportionnellement à la valeur des objectifs à neutraliser : la deuxième partie de cet article illustre ce dernier principe au travers de deux exemples : celui de l’emploi de canons sabord par l’ALAT contre le groupes armés terroristes au Mali et celui de l’utilisation air-air des roquettes APKWS II par les F-16 américains contre les drones Houthis.

A suivre

(Par Murielle Delaporte)

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