La guerre en Ukraine a montré qu’il faut de la masse pour contrer la masse, une réalité qui s’est avérée pratiquement absente de la réflexion des forces armées occidentales sur la nature de la guerre depuis la fin de la Guerre froide. Se retrouvant dans une ère où un nombre croissant d’acteurs peut déployer des drones et des missiles et accéder à des satellites peu coûteux et des technologies commerciales de pointe, nombre de pays font preuve d’ingéniosité pour contrer des menaces « ne valant pas la peine » de sacrifier des missiles ou munitions très chères ou d’exposer des moyens militaires précieux à des risques disproportionnés, et ce, en associant masse et sophistication technologique de façon disruptive. Un concept que l’on pourrait qualifier de « masse intelligente » par analogie au concept de « masse précise » développé par certains analystes militaires aux Etats-Unis.
L’adaptation tactique des forces françaises au Mali représente ainsi un excellent exemple d’innovation et d’optimisation opérationnelles pour faire face à des menaces asymétriques avec des moyens économiques. L’approche consistant à privilégier l’utilisation d’armements conventionnels (canons, mitrailleuses) plutôt que des missiles coûteux s’inscrit dans la même logique que l’exemple des F-16 américains utilisant des roquettes APKWS II contre les drones Houthis. Dans les deux cas, il s’agit d’une réponse adaptative et économique face à des menaces qui ne justifient pas l’emploi de munitions onéreuses sous peine d’attrition rapide.
Apporter une réponse proportionnée à la valeur des objectifs à neutraliser : l’exemple de l’ALAT pendant Barkhane
Dans le cadre de l’Opération Barkhane, l’hélicoptère s’est révélé particulièrement efficace contre des cibles comme les pick-up, grâce à sa capacité à rester en permanence sur zone pour débusquer ces cibles et les traiter avec des armements bas coûts plus adaptés : roquette, canon de 30 mm, canon de 20 mm…
L’ALAT ayant adopté l’utilisation de canons embarqués plutôt que celle de missiles coûteux pour neutraliser les groupes armés terroristes, Gazelle, Puma et Cougar, mais aussi Tigre ont pu appuyer les opérations au Sahel et ainsi neutraliser ces derniers.
L’une des tactiques principales impliquait en particulier l’utilisation du Puma « Pirate » équipé d’un canon de 20 mm en sabord. Cette configuration a régulièrement apporté un appui appréciable aux unités au contact avec des groupes armés terroristes au Mali. Ce fut notamment le cas lors de combats en 2013.
Une configuration d’armement innovante dans la lutte anti-drone en mer Rouge : l’exemple de l’US Air Force contre les Houthis
Pour sauvegarder les armes anti-missiles coûteuses, l’armée de l’Air américaine a adapté ses F-16 avec des charges de roquettes guidées par laser, un couplage ayant conduit à une lutte anti-drone accessible économiquement (1).
Les F-16 opérant au Moyen-Orient ont en effet pu utiliser leurs pods de ciblage LITENING pour identifier et neutraliser des cibles avec des armes guidées par laser traditionnellement utilisées dans les opérations air-sol.
Cette nouvelle configuration d’armement présente des F-16 transportant deux pods de roquettes de 70mm à sept coups sur un seul pylône sous l’aile droite à l’aide d’un rack d’éjection triple (TER). Ces roquettes sont équipées du système Advanced Precision Kill Weapon System II (APKWS II), qui convertit des roquettes standard non guidées de 70mm en munitions de précision grâce à l’ajout de kits de guidage laser.
La configuration complète comprend :
- 2 pods de roquettes de 70mm à sept coups (14 roquettes au total) ;
- 2 missiles AIM-9X Sidewinder ;
- 2 missiles AIM-120 AMRAAM ;
- 1 pod de ciblage LITENING ;
- 1 pod de système de ciblage HARM (HTS) ;
- 2 réservoirs de carburant externes.
Ce qui rend cette configuration particulièrement remarquable est qu’elle augmente considérablement la capacité de frappe de l’appareil par rapport aux configurations air-air traditionnelles. Alors qu’une configuration typique de défense aérienne pourrait inclure seulement 6 missiles au total, cette configuration adaptée offre jusqu’à 14 opportunités d’engagement avec les roquettes guidées par laser seules, plus des missiles air-air conventionnels supplémentaires.
Les avantages économiques de cette approche sont considérables. Chaque kit de guidage APKWS II coûte environ 15 000 à 20 000 dollars, les roquettes complètes totalisant environ 25 000 dollars en incluant les têtes explosives et les moteurs. En comparaison, les missiles air-air traditionnels coûtent des centaines de milliers de dollars chacun : un missile AIM-120 AMRAAM coûte environ 1 million de dollars et un AIM-9X Sidewinder, environ 400 000 dollars
Cette différence de coût rend la solution APKWS II particulièrement attrayante pour engager des cibles de moindre valeur comme les véhicules aériens sans pilote, permettant aux forces de réserver leur inventaire de missiles coûteux pour des scénarios de menaces plus élevées.
La méthodologie de ciblage emploie le pod LITENING du F-16 pour « éclairer » ou désigner les cibles. Le capteur du pod peut être asservi au radar de l’avion, permettant un suivi et un engagement précis de cibles relativement lentes comme les drones et les missiles de croisière. Le système de ciblage peut également prendre en charge l’éclairage par binôme, selon lequel un avion désigne les cibles tandis qu’un autre effectue la passe d’attaque.
Ces adaptations représentent plus qu’une simple solution tactique à une menace immédiate. Elles démontrent comment la créativité et la flexibilité opérationnelle peuvent exploiter les technologies existantes de nouvelles façons pour répondre aux défis émergents. En reconfigurant des systèmes éprouvés plutôt que de développer des plateformes entièrement nouvelles, les forces armées réalisent à la fois des économies et un déploiement rapide des capacités.
- Voir en particulier l’article suivant publié par le site américain The War Zone >>> https://www.twz.com/air/air-launched-laser-guided-rockets-shown-shooting-down-houthi-drones-for-first-time
Par Murielle Delaporte
Photo : des Marines américains chargent une roquette équipée de l’APKWS II © Lance Cpl. Ashley McLaughlin, USMC, Arizona, 2025