L’impression 3d dans les forces armées : un « générateur de secours » pour la chaîne d’approvisionnement

Experte reconnue de la fabrication numérique et de l'impression 3D, Tali Rosman est devenue en 2020 PDG d'Elem Additive chez Xerox. Elle décrit cette expérience comme son « accomplissement le plus important », puisqu'elle a été chargée de créer de toutes pièces une nouvelle entreprise, Elem Additive, et de lancer un tout nouveau produit, l'ElemX. Elle est de fait connue dans le domaine militaire pour avoir travaillé avec la « Naval Post Graduate School » afin de tester la toute première imprimante 3D à projection de métal liquide installée en juillet 2022 sur un navire de la marine américaine, l'USS ESSEX, alors qu'il était déployé en mer. Dans cet entretien, elle décrit l'état de l'art de l'impression 3D métallique, ses avantages et ses inconvénients, et les perspectives qu'elle entrevoit dans ce domaine révolutionnaire.
USS ESSEX ELEMX

Chargement de l’imprimante 3D ElemX à bord de l’USS Essex © Ace Rheaume, US Navy, juillet 2022

Entretien avec Tali Rosman, conseillère en création d’entreprise à Miami (Floride) et « Entrepreneur-In-Residence » à l’Université métropolitaine de Toronto (Canada)

–> Propos recueillis par Murielle Delaporte
 

Experte reconnue dans le domaine de la fabrication numérique et de l’impression 3D, Tali Rosman est aujourd’hui conseillère en création d’entreprise chez RHH Advisory, une société basée à Miami, et entrepreneur en résidence à l’Université métropolitaine de Toronto. Elle vit aux États-Unis depuis 2014, mais a auparavant étudié et travaillé en Israël, en France (où elle a obtenu un diplôme de l’INSEAD), au Royaume-Uni, en Suisse et à Singapour. Elle a notamment supervisé les fusions et acquisitions chez Stratasys, qui était alors le principal acteur du marché de la fabrication additive, et est devenue en 2020 PDG d’Elem Additive chez Xerox. 

Elle décrit cette expérience comme son « accomplissement le plus important », puisqu’elle était chargée de créer de toutes pièces une nouvelle entreprise, Elem Additive, et de lancer un tout nouveau produit, l’ElemX. Elle est de fait connue dans le domaine militaire pour avoir travaillé avec la « Naval Post Graduate School », afin de tester la toute première imprimante 3D à projection de métal liquide installée en juillet 2022 sur un navire de la marine américaine, l’USS ESSEX, alors qu’il était déployé en mer.

 
Dans cet entretien, elle décrit l’état de l’art de l’impression 3D métallique, ses avantages et ses inconvénients, ainsi que les perspectives qu’elle entrevoit dans ce domaine révolutionnaire.

 

Quels sont les caractéristiques et les principaux avantages de la technologie que vous avez développée avec l’imprimante ElemX (basée sur la projection de métal liquide) ?

 

La capacité à être déployée est probablement le premier atout d’ElemX, puisque nous avons livré l’imprimante dans un conteneur, ce qui lui permet de résister aux conditions maritimes, telles que les vibrations et la corrosion.Lorsque j’ai été engagé en 2020 pour créer Elem Additive avec une petite équipe de chercheurs, qui étaient à l’origine de la technologie de projection de métal liquide, le marché était dominé par les imprimantes 3D en plastique et par les imprimantes métalliques à base de poudre. Ma tâche consistait à passer de cette dernière technologie à des imprimantes métalliques plus sûres et plus faciles à déployer en utilisant la technologie du métal liquide alimenté par une bobine de fil. Le défi était donc multiple, car nous devions nous éloigner des technologies à base de poudre, qui sont toxiques pour l’environnement et hautement explosives, donc peu sûres et difficilement déployables.Nous avons réussi à mettre au point une toute nouvelle technologie, utilisée aujourd’hui par la marine américaine, le département américain de l’énergie et Siemens, basée sur des fils métalliques (actuellement axés sur l’aluminium) plutôt que sur des poudres. Le fil métallique est sûr, non toxique et non explosif. Bien qu’il ne soit pas « prêt à l’emploi », il n’en est pas loin et répond aux impératifs de temps et d’espace (« quand vous en avez besoin » ; « où vous en avez besoin »).

La rapidité est bien sûr un autre avantage clé, avec la possibilité de fabriquer des pièces à la demande, avec un délai d’exécution d’une journée. La vitesse se réfère au temps de production d’une pièce et n’est pas seulement liée à la vitesse d’impression, mais surtout à la réduction du temps de post-traitement, ce qui permet une véritable production à la demande, sur site. La fabrication de métal à base de poudre nécessite des équipements de post-traitement souvent délocalisés chez des fournisseurs externes, ce qui augmente les délais de livraison et limite la capacité à produire des pièces à la demande dans des endroits éloignés : le post-traitement pour l’impression des métaux est lourd et coûteux. Ce que veulent les utilisateurs, ce sont des pièces fabriquées « à la demande ». C’est donc une chose d’imprimer en quelques heures, mais si le post-traitement prend des semaines, cela va à l’encontre du but recherché, car ce n’est pas une fabrication « à la demande ».

Cette capacité à livrer une nouvelle pièce utilisable le jour même où une pièce s’est cassée ou a été perdue change la donne en matière de logistique et d’inventaires, tant dans le secteur civil que militaire. Tout ce dont vous avez besoin, c’est d’un espace pour installer l’imprimante. Bien que l’ElemX soit assez grande, de nouveaux venus sur le marché, tels que la société belge Valcun, proposent désormais des produits similaires avec un encombrement moindre et une consommation d’énergie réduite. Outre l’imprimante, il suffit de disposer de bobines de fil métallique (actuellement, les solutions ElemX et ValCUN se concentrent sur l’aluminium) que l’on peut acheter dans le commerce et qui peuvent être stockées sans traitement particulier, ainsi que de l’équipement de post-traitement, qui est minime par rapport aux technologies basées sur la poudre. Cela dépend bien-sûr des pièces, mais la plupart du temps, la pièce sort de l’imprimante en bon état, et le post-traitement comprendra principalement le fraisage pour la finition de la surface. Cela dépend bien sûr des pièces, mais la plupart du temps, la pièce sort de l’imprimante en bon état, et le post-traitement comprendra principalement un fraisage pour la finition de la surface afin de la rendre parfaitement lisse, ou un simple traitement thermique dans un four ordinaire pour renforcer la pièce. Il n’est pas nécessaire de disposer d’un four propriétaire, d’un équipement d’élimination des poudres, d’un HIP, etc.

La souveraineté est également renforcée, car l’impression 3D permet la relocalisation de la fabrication, créant ainsi un nouveau territoire prometteur et inexploré en ce qui concerne la formation de la main-d’œuvre et l’utilisation des matières premières. Le processus ayant été grandement simplifié, l’impression 3D par projection de métal liquide présente un autre avantage : elle nécessite moins de main-d’œuvre et la formation des ingénieurs dans le domaine de la fabrication numérique et des mécaniciens est beaucoup plus facile et plus rapide. En outre, l’impact sur la chaîne d’approvisionnement en général pourrait devenir rapidement perceptible pour deux raisons : tout d’abord, il n’y a pas les complexités matérielles posées par les technologies de métal sur lit de poudre, il suffit d’acheter des bobines de fil facilement accessibles dans le commerce. Il convient de noter que toutes les imprimantes à métal liquide émergentes, de ElemX à ValCUN en passant par GROB, se concentrent initialement sur l’aluminium, qui représente 25 % du marché mondial des pièces détachées en métal (l’acier représente 25 % et le reste est réparti entre quelques autres matériaux). Ensuite, vous n’avez pas besoin d’une grande quantité de matériaux, puisque vous utilisez simplement ce dont vous avez besoin pour produire la pièce, contrairement à la fabrication soustractive, telle que l’usinage, où vous soustrayez de la matière à partir d’un bloc de matériau. Par définition, la soustraction entraîne des tonnes de déchets. Enfin, un moindre besoin de matériaux signifie par conséquent moins de problèmes d’inventaire : il n’est plus nécessaire de stocker de multiples pièces, mais seulement les matériaux dont vous avez besoin pour les produire.

Quels sont les principaux obstacles à surmonter pour que l’impression 3D devienne dans certains cas un « mode de fabrication par défaut », ainsi que vous le décrivez ?

 

La relation entre l’impression 3D, ou fabrication additive, et la chaîne d’approvisionnement mondiale peut être comparée à la relation entre un générateur de secours et le réseau électrique : si le système habituel fonctionne, il est probablement préférable de l’utiliser, mais si la chaîne d’approvisionnement est perturbée, un générateur de secours est nécessaire, et c’est ce que l’impression 3D peut offrir et faire. Pour certaines pièces, la fabrication additive sera toujours utilisée comme générateur de secours, mais pour d’autres, elle pourrait devenir un mode de fabrication par défaut. C’est ce qui se passe actuellement sur la ligne de front de l’Ukraine, où de nombreuses pièces ne peuvent pas être approvisionnées et où il n’existe pas forcément de stocks.

À l’heure actuelle, deux obstacles majeurs empêchent l’impression 3D d’être utilisée plus généralement comme « mode de fabrication par défaut » :

 – Le premier est la difficulté technique à produire en masse. ElemX est utilisé pour un mélange de produits diversifiés et de faible volume sur un navire déployé ou une base avancée, et non pour une production de masse dans des dépôts. Toutefois, cette situation pourrait changer avec l’apparition de solutions autres que la poudre. Par exemple, la société israélienne Tritone utilise un nouveau procédé consistant à remplir un moule en cire avec de la pâte métallique, ce qui permet de produire des milliers, voire des dizaines de milliers de pièces. Bien qu’il ne soit pas fait pour des millions de pièces, c’est déjà un marché différent de celui de Xerox – ou ADDiTEC aujourd’hui, puisque Elem X a été racheté par cette société l’été dernier – et de Vulcan.

– La deuxième rupture majeure concerne le processus de certification et de qualification qui est particulièrement lourd dans le domaine militaire. De nombreux débats sont en cours sur cette question particulière qui ralentit l’expansion de l’utilisation de l’impression 3D dans les forces armées. Une solution consiste à certifier les pièces à l’avance ; l’autre consiste à réfléchir au niveau de qualité nécessaire pour les pièces non critiques ou de structure non primaire. La question est en fait la suivante : « Avez-vous vraiment besoin que cette pièce soit certifiée ? » Par exemple, la poignée des machines à laver à bord des navires militaires peut, si elle est cassée, devenir source de cauchemars à bord. Doit-elle pour autant être d’une qualité irréprochable ? Cela nous ramène à l’argument d’une qualité « suffisante pour fonctionner » par opposition aux critères de « qualité supérieure » qui exigent un processus rigoureux de certification garantissant que la pièce imprimée correspond exactement à la pièce initiale.

 

Un mot de conclusion sur les perspectives de la fabrication additive de votre point de vue ?


Un processus de certification rigoureux ou un contrôle de qualité in situ pourrait très bientôt être grandement facilité par l’utilisation exponentielle actuelle de l’intelligence artificielle (IA). Il y a quelques mois, je vous aurais dit que l’IA n’était qu’une chimère, mais aujourd’hui nous ressentons tous l’effet « ChatGPT » à de multiples niveaux : que ce soit en termes de garantie de qualité, ou en termes du degré de confiance que les gens accordent désormais à ces nouveaux outils.

L’IA peut en fait contribuer à la maintenance prédictive en intégrant de plus en plus le contrôle de qualité et les contributions des utilisateurs finaux, tout en accélérant l’ensemble du processus. J’ai vu quelques nouvelles startups qui commencent à maîtriser la conception générative. Nvidia a ainsi récemment annoncé le lancement d’un modèle d’IA pour la conception 3D.

En outre, la question de la sécurité, tant en termes de cybersécurité que de protection de la propriété intellectuelle, est désormais résolue par des avancées technologiques importantes dans ce domaine crucial. Certaines start-ups, comme Assembrix, basée en Israël, travaillent déjà sur le transfert numérique sécurisé de fichiers, à tel point que le personnel chargé de l’impression ne serait pas en mesure d’accéder à des informations protégées. Les difficultés ralentissant la généralisation de la fabrication additive à plus grande échelle commencent donc à être résolues les unes après les autres sur le terrain.

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