Transition énergétique et défense : « avancer ensemble »

Synthèse de la conférence iDeaS du 20 juin 2023 - Comment les nouveaux développements en matière d'énergie durable peuvent-ils apporter des réponses au secteur de la défense ? Les défis de la transition énérgetique pour le secteur de la défense sont importants, alors que l'armée doit s'efforcer de réduire les émissions et d'agir dans un monde en proie à diverses crises climatiques tout en maintenant le même niveau d’efficacité opérationnelle. Lors de l'e-conférence COGES EVENTS du 20 juin 2023 intitulée "How can new developments in sustainable energy bring game changing answers to the defence sector", un panel réunit deux experts sur le sujet, à savoir : • le Dr. Constantinos Hadjisavvas, chef de projet des programmes financés par l'Union européenne au sein de l’Agence européenne de défense • le Général (R) Tom Middendorp, ancien chef d’Etat major de la défense aux Pays-Bas et actuel président du Conseil militaire international sur le climat et la sécurité Les modérateurs de ce panel étaient le Commandant Raphaël Danino-Perraud, officier commissionné auprès du bureau « Recherche et Capacité » du Service de l’énergie opérationnelle du ministère des Armées et Hawa-Léa Sougouna, responsable des conférence pour COGES EVENTS.
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Illustration : “The Climate-Security Nexus : A risk Multiplier”, planche de présentation du général Middendorp et les participants à la conférence iDeaS du 20 juin 2023
Synthèse – Comment les nouveaux développements en matière d’énergie durable peuvent-ils apporter des réponses au secteur de la défense ?
Les défis de la transition énergétique pour le secteur de la défense sont importants, alors que l’armée doit s’efforcer de réduire les émissions et d’agir dans un monde en proie à diverses crises climatiques tout en maintenant le même niveau d’efficacité opérationnelle. Lors de l’e-conférence COGES EVENTS du 20 juin 2023 intitulée “How can new developments in sustainable energy bring game changing answers to the defence sector”, un panel réunit deux experts sur le sujet, à savoir :

  • le Dr. Constantinos Hadjisavvas, chef de projet des programmes financés par l’Union européenne au sein de l’Agence européenne de défense ;
  • le Général (R) Tom Middendorp, ancien chef d’Etat major de la défense aux Pays-Bas et actuel président du Conseil militaire international sur le climat et la sécurité.


Les modérateurs de ce panel étaient le Commandant Raphaël Danino-Perraud, officier commissionné auprès du bureau « Recherche et Capacité » du Service de l’énergie opérationnelle du ministère des Armées et Hawa-Léa Sougouna, responsable des conférence pour COGES EVENTS.

« Sécurité climatique : une vérité qui dérange »
Par le général (R) Tom Middendorp

Le général Middendorp a commencé sa présentation en abordant quatre aspects du climat et de la sécurité particulièrement importants pour les militaires :
  1. La concurrence mondiale : la croissance exponentielle de la population mondiale, laquelle devrait doubler au cours de ce siècle, s’accompagne d’une demande tout aussi croissante de ressources, lesquelles sont limitées. La façon de combler ce fossé constitue le défi majeur de ce siècle.
  2. Les perturbations régionales : le changement climatique perturbe les sociétés en raison des sécheresses, des inondations, etc., ce qui a un impact direct sur la prospérité et les moyens de subsistance des communautés qui en sont victimes.
  3. Les catastrophes locales : il s’agit des catastrophes naturelles (ouragans, incendies de forêt, etc.) qui nécessitent des secours et une aide humanitaire.
  4. L’adaptation au niveau interne : l’armée doit s’adapter aux efforts visant à compenser les effets du changement climatique. Les infrastructures doivent être protégées ; les risques de pénuries alimentaires doivent être diminués ; la réduction d’émissions doit être assurée pendant la transition énergétique.


Il a ensuite expliqué le rôle que l’armée peut et doit jouer afin de contribuer à l’atténuation des risques liés au changement climatique. L’armée peut ainsi :
  • Sensibiliser : mener des recherches et éduquer sur la manière dont le changement climatique et la sécurité interagissent.
  • Etablir un système d’alerte et de prévision : développer une bonne analyse climatique pour comprendre d’où viennent les risques et les prévenir est essentiel.


L’armée doit aussi faire montre d’adaptation stratégique, développer la coopération internationale, ainsi que l’aide humanitaire et les secours en cas de catastrophe, parallèlement à la coopération civile et militaire. Elle peut aussi renforcer la résilience des pays fragiles, mais aussi la résilience au sein même des institutions militaires. Enfin, elle peut également s’attacher à réduire l’empreinte écologique de l’armée. Pour l’ancien CEMA néerlandais, si l’ensemble de la société est en train de changer en réponse à la transition énergétique, les militaires se montrent réticents à suivre le mouvement essentiellement en raison de deux inquiétudes majeures :
  • le coût d’une telle transition pour les militaires : l’inquiétude est qu’investir dans la résilience climatique ne détourne les fonds nécessaires à la préparation opérationnelle.
  • La baisse de l’efficacité militaire : par exemple, quelles seront les performances d’un char d’assaut à moteur électrique en comparaison de ce qui existe ?


Le général Middendorp suggère de commencer par le plus facile à savoir les infrastructures critiques. Mettre l’accent sur la recherche et le développement et veiller à ce que les capacités NextGen soient plus autonomes font partie des recommandations qu’il prône.

Le général Middendorp a par ailleurs mis en évidence un certain nombre d’éléments allant dans le sens de l’autosuffisance, tels que la réduction par les armées d’« énormes chaînes d’approvisionnement, qui sont les plus à risque et les plus coûteuses » ou encore le développement de nouvelles technologies énergétiques susceptibles d’offrir de nouvelles capacités opérationnelles militaires (la réduction de la signature sonore est un exemple d’une telle approche gagnant-gagnant). Ainsi, la question n’est pas de savoir s’il faut poursuivre cette voie ou non, « la question est de savoir comment le faire et comment le mettre en œuvre », conclut le général.

Le rôle de l’AED dans la promotion de l’énergie durable dans la défense Par le Dr Constantinos Hadjisavvas

Le Dr Hadjisavvas a commencé sa présentation en soulignant les différentes priorités de l’AED :
  1. Soutenir les capacités clés structurant la défense de l’Union européenne (UE).
  2. Stimuler la recherche autour des technologies.
  3. Veiller à ce que les intérêts militaires soient pris en compte et s’alignent sur les politiques de l’UE (autour de l’économie circulaire, du Green Deal, etc.).


L’UE se dirige vers une Union énergétique et une économie neutre sur le plan climatique d’ici 2050, mais cela nécessite de diversifier les approvisionnements en énergie, de consommer moins de combustibles fossiles et daccroître la contribution des sources d’énergie renouvelables et alternatives tout en mettant en œuvre des mesures d’efficacité énergétique.

Dans le cadre de la transition énergétique de l’UE, le secteur de la défense devra ainsi réduire sa dépendance énergétique, diminuer son empreinte énergétique et les coûts associés, réduire les risques inhérents au soutien logistique et renforcer la résilience par rapport aux problèmes de sécurité.

M. Hadjisavvas a mis l’accent sur divers exemples concrets de collaboration soulignant ainsi les progrès réalisés en ce domaine. En novembre 2020, l’UE a publié sa première feuille de route sur le climat et la défense. L’objectif de cette feuille de route est d’aborder trois volets de travail interdépendants : la dimension opérationnelle, le développement des capacités, le partenariat et le multilatéralisme. Puis en mars 2022, la Boussole stratégique pour la sécurité et la défense a également abordé cette question et comportait un paragraphe invitant les États membres à élaborer des stratégies nationales d’ici la fin de 2023 pour préparer leurs forces armées au changement climatique.

Outre la coopération intra-européenne, la coopération entre l’UE et l’OTAN a par ailleurs notamment conduit à l’élaboration de trois déclarations conjointes en 2016, 2018 et 2023 abordant les implications sécuritaires du changement climatique. Enfin, plus récemment, l’AED et le Département de la défense des États-Unis (DOD) ont mis en œuvre des dispositions administratives communes devant faciliter la coopération pour évalier l’impact du changement climatique sur le secteur de la défense.

M. Hadjisavvas a d’autre part souligné l’importance du travail réalisé par le forum de consultation sur l’énergie et la défense de l’AED. Ce forum a pour but d’aider les ministères de la défense de l’UE à s’orienter vers des modèles énergétiques verts, résilients et efficaces. Le premier projet du forum a reçu un financement de l’UE, le réseau RESHUB « Defence Resilience Hub » in Europe. Il a également évoqué diverses études de recherche menées par l’AED sur le stockage de l’énergie, les profils numériques de l’énergie, etc.

M. Hadjisavvas a conclu que face à la hausse mondiale des prix de l’énergie, l’accord vert de l’UE est la solution et que la collaboration avec les industriels a « un effet démultiplicateur vers la neutralité climatique ».

Conclusion : un transfert de connaissances indispensable

Interrogé sur la manière dont le ministère des Armées français abordait la question de la transition écologique, le commandant Danino-Perraud a souligné l’importance de la coopération internationale. Il a indiqué que les projets PESCO constituaient un élément important de la transition écologique pour la stratégie française. Les projets PESCO ont pour objectif de mettre en place des projets capacitaires au niveau de l’UE.

Le commandant Danino-Perraud a également évoqué l’importance du « partage de l’expérimentation ». Chaque pays partenaire expérimente de nouvelles technologies autour de la transition verte, et ce transfert de connaissances est un élément essentiel pour aller de l’avant. Il a également insisté sur la nécessité de faire preuve de patience à l’égard de ces technologies, car certaines d’entre elles « ne donnent pas de résultats immédiats », d’où une approche prudente de la part du ministère des Armées quant à leur mise en œuvre dans les forces.

Lors de la séance de questions-réponses, le général Middendorp a quant à lui mis l’accent sur la situation de blocage dans laquelle se trouvent l’industrie et l’armée. L’industrie n’avance pas comme elle le pourrait parce que la défense n’a pas modifié ses exigences, et la défense n’avance pas parce qu’elle attend que l’industrie innove en matière de nouvelles technologies. Selon lui, il s’agit donc d’avancer ensemble. Il faut cesser d’acheter sur étagère et s’orienter davantage vers un développement conjoint. Le général Middendorp a évoqué le rôle déterminant que jouent l’AED et le Fonds européen de défense (FED) pour rapprocher l’industrie et la défense afin de commencer à développer des technologies et des capacités futures plus autonomes. Il a insisté sur le fait qu’il ne s’agit pas seulement de développer des capacités, mais d’aller plus loin et de mettre en place un soutien logistique en phase avec la transition énergétique.

« Nous devons envisager la question sous l’angle du potentiel et non du risque », a-t-il poursuivi en expliquant que les militaires considèrent l’investissement en matière de résilience strictement comme un facteur de risque, alors qu’ils devraient plutôt l’envisager comme un facteur d’opportunité pour trouver de nouvelles façons de travailler avec l’industrie, le monde universitaire et d’autres secteurs.

M. Hadjisavvas s’est également appuyé sur cette idée de briser les synergies traditionnelles et d’adopter de nouveaux partenariats. Il a évoqué la conférence de l’AED sur les solutions énergétiques et technologiques, qui a montré comment les technologies civiles innovantes peuvent être appliquées aux secteurs de la défense, ainsi que le plan d’action de la Commission européenne pour les industries civiles, de défense et spatiales. « Nous avons besoin de la contribution de l’industrie civile pour relever ces défis », a-t-il conclu.
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